Nettoyer la nature, est-ce vraiment une bonne idée ?

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Les opérations de nettoyage de déchets font souvent travailler des jeunes sans les rémunérer, sous couvert d’action morale, et déresponsabilisent à l’inverse le monde économique.
Denis Blot, Université de Picardie Jules Verne et Julie Désert, Université de Picardie Jules Verne

Dans l’avion le conduisant au sommet spécial des Nations unies sur le climat, le 23 septembre 2019, Emmanuel Macron a déclaré à propos des jeunes manifestant à cette occasion, qu’il préférerait que « tous les vendredis on fasse de grandes opérations de ramassage sur les rivières ou les plages corses ».

Nombreux sont les jeunes, et les autres, qui n’ont pas attendu les recommandations présidentielles pour se retrousser les manches et aller ramasser des déchets sauvages. Mais quelles sont la fonction réelle et la portée de telles opérations de nettoyage ?

Elles ont un triple effet : donner aux participants le sentiment qu’ils font quelque chose de bien ; laisser le monde économique continuer sa marche sans trop se soucier des impacts qu’il a sur l’environnement ; offrir des ressources gratuites de matières à recycler.

Si les nettoyages sont vertueux d’un point de vue moral, ne seraient-ils pas vicieux d’un point de vue environnemental ?

Jamais un vrai travail

Le nombre d’enfants est la première chose qui saute aux yeux quand on s’intéresse aux opérations de nettoyage. Le motif de la sensibilisation à l’environnement est souvent mis en avant pour justifier leur mobilisation, ce qui permet de ne pas voir qu’ils travaillent à ramasser des déchets.

L’immense majorité des personnes qui se mobilisent pour nettoyer les plages, la campagne ou les cours d’eau sont bénévoles, mais des professionnels sont parfois impliqués – généralement des personnes en parcours d’insertion. Et le ramassage des déchets sauvages est davantage rémunéré dans une logique de programmes sociaux que pour le vrai travail réalisé.

Quant aux salariés qui sont amenés à ramasser des déchets sauvages sur les bords de route ou dans des cours d’eau, cette activité ne fait le plus souvent pas partie de leur mission qui consiste à garantir aux usagers la pratique et la sécurité des routes. Ramasser les déchets, c’est la partie ingrate, celle que l’on ne devrait pas faire mais que l’on fait quand même parce que c’est nécessaire. Ce travail, que les sociologues appellent le « sale boulot », est ressenti comme illégitime et dégradant par les professionnels.


Bientôt la fin des plastiques à usage unique dans l’Union européenne (Brut).

Enfants, bénévoles, professionnels dont ce n’est pas le travail, personnes en délicatesse avec l’emploi : il semble que ramasser des déchets sauvages n’est jamais un vrai travail. Le contraste est vraiment fort avec le monde des professionnels du traitement des déchets qui ont un métier bien défini, des formations, des rémunérations, des syndicats et tout ce qui caractérise un secteur économique qui représente 108 000 emplois directs rien que pour les déchets ménagers.

Comme on peut le constater avec le tri – reposant sur la bonne volonté des ménages –, la morale liée aux questions environnementales est une excellente manière de faire travailler les gens gratuitement. Qui devrait supporter le coût des nettoyages, sans même parler de celui de la destruction des milieux, s’il fallait les faire entrer dans les calculs économiques ?

Les motivations morales qui président à ces opérations participent au maintien d’un système où les déchets que l’on retrouve dans l’environnement restent en dehors des calculs de l’économie industrielle qui en est pourtant la source.

Il n’est d’ailleurs pas rare que les associations de nettoyages reçoivent le soutien des industriels. Ils en sont même parfois les initiateurs : l’opération « Nettoyons la nature » qui mobilise des centaines de milliers de bénévoles, dont de très nombreux enfants, est organisée par une chaîne de super-marchés depuis plus de 20 ans.

Vers une nature toujours plus anthropisée ?

Des initiatives de nettoyages de très grande envergure ont vu le jour ces dernières années. On pense ici au World-clean-up day ou à l’Océan clean-up du désormais célèbre Boyan Slat dont les résultats en matière de levée de fonds sont remarquables : en 2018, soit six ans après sa fondation, l’association de Slat dispose d’un budget de plus de 24 millions d’euros et salarie plus de 70 personnes.

En revanche, rien de bien tangible en matière de collecte des plastiques. Et prétendre en nettoyer les océans constitue une imposture puisqu’une bonne part du plastique est devenu trop petit (échelle du micro ou du nano-mètre) pour que l’on puisse espérer le repêcher. Même si elles étaient efficaces sur les macro-déchets, ce qui n’est toujours pas le cas, les opérations de nettoyage n’atteindraient jamais l’objectif d’une « mer propre ».

C’est donc peut-être ailleurs qu’il faut chercher leur raison d’être. Ce genre de projet contribue à nourrir le mythe du jeune héros de l’environnement, dynamique et bon communicant, ayant monté une start-up, mais qui ne fait pas de politique. Pourtant, les nettoyages, loin d’être neutres politiquement, véhiculent des représentations du monde qui auront in fine un impact sur l’environnement.

La principale de ses représentations réside dans l’idée que nous allons pouvoir apporter des solutions techniques aux problèmes environnementaux que nos choix économiques et modes de vie engendrent. Les projets de nettoyage renforcent l’idée que la mainmise sur la nature, bien qu’elle ait parfois des effets pervers, ne doit pas connaître de limites. Et que la solution au problème de l’anthropisation des milieux serait une anthropisation accrue.

Quand la nature « salit » le plastique

Mais la présence de plastique dans les océans ne suscite pas que des réactions scandalisées : elle est aussi devenue l’objet de convoitises.

Ces plastiques constituent un gisement de matière « secondaire » d’autant plus alléchant que ce sont des bénévoles qui s’occupent des collectes. C’est ainsi que de nombreuses associations organisant des nettoyages ont été approchées par les représentants de Terracycle, une filiale de Suez.

Dans cette logique, le problème ne vient pas des déchets, qui sont au contraire une ressource pour le développement d’une nouvelle économie, mais de la nature qui complique nos plans et vient freiner nos ambitions.

Un intervenant, ayant fondé une petite entreprise de recyclage des plastiques collectés sur les plages, déclarait ainsi aux Rencontres des collecteurs de déchets sauvages à Marseille en juin 2017 :

« Le problème du plastique que l’on ramasse sur les plages, c’est qu’il est sale à cause du sable et des algues. »

Dans l’assistance, les collecteurs de déchets méfiants vis-à-vis des tentatives d’exploiter la dégradation de la nature ont frémi devant cet étrange retournement. Eux qui croyaient que c’était le plastique qui salissait les plages…

La nature peut-elle être « propre » ?

La notion de propreté est-elle réellement adaptée aux milieux naturels ? Dans nos imaginaires, une plage propre est une plage nue où l’on ne trouve que sable, galets ou rochers.

Les opérations de ratissage à l’aide de moyens mécaniques sur les plages touristiques permettent d’avoir chaque jour un espace conforme à ces représentations ; mais elles sont catastrophiques d’un point de vue écologique !

Prenez la laisse de mer, par exemple, ce cordon composé de débris divers que dépose la mer quand elle se retire : ici s’y développent des insectes dont se nourrissent les oiseaux marins et toute une vie invisible. Elle a aussi un rôle essentiel dans la formation du cordon dunaire. La ramasser ou même chercher à en extirper sans précaution les très nombreux débris plastiques qu’elle contient, la détruit ou la chamboule, tuant la vie qui s’y développe. La plage propre dont rêvent les touristes, est une plage morte.


À la découverte de la laisse de mer !

Bien qu’elles s’appuient sur de bons sentiments, les opérations de nettoyages participent à l’anthropisation de la nature. Que resterait-il de la vie des océans s’il fallait que nous les filtrions pour en retirer les particules de plastiques ? Il est évidemment extrêmement inconfortable de se résoudre à laisser du plastique là où nous n’aimerions voir que de la nature. Malheureusement, il faudra sans doute s’y faire et consacrer nos efforts à agir sur les sources de matières indésirables.

Des actes expiatoires ?

Ramasser les déchets sauvages est un acte expiatoire qui répond au malaise moral que nous éprouvons en voyant les images d’une nature étouffant sous les plastiques… sauf si ces collectes permettent de construire des connaissances qui seront utiles pour peser dans des évolutions réglementaires.

L’interdiction des cotons-tiges en plastique et des plastiques à usage unique est ainsi le résultat du lobbying d’associations qui ramassent les déchets sur les plages pour constituer des bases de données – Surfrider Foundation Europe, Mer-Terre, Ansel, Sea-mer, Tara, etc.

Dans ce cas, l’objectif, au-delà de nettoyer la nature, est d’en dénoncer la dégradation en la rendant visible. Les opérations sont des rituels permettant de se « mobiliser pour la planète » et d’agir conformément aux valeurs écologistes qui sont aujourd’hui largement diffusées, sans avoir à trop remettre en cause nos modes de vie, et sans bousculer nos certitudes.

Pendant ce temps, les déchets sauvages sont convoités par l’industrie du recyclage, ils offrent des terrains d’aventure à de jeunes ambitieux, ils mobilisent les scientifiques et les industriels à la recherche de polymères qui seraient moins nocifs pour l’environnement ; bref, ils participent à la marche normale du capitalisme industriel. Les nettoyages accompagnent cette marche sans jamais la faire dévier ni la freiner. Ils ne servent ainsi qu’à la rendre supportable moralement.The Conversation

Denis Blot, Maître de conférences en sociologie, Université de Picardie Jules Verne et Julie Désert, Doctorante contractuelle en anthropologie, Université de Picardie Jules Verne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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