Grégory Derville, la permaculture ou l’éloge de la simplicité…

Share Button

A l’occasion de la sortie du livre  « la permaculture, en route pour la transition écologique » paru en janvier 2018, (Edition terre vivante), cet entretien avec l’auteur propose une mise en perspective .

 Grégory Derville

Grégory Derville

Grégory Derville est un universitaire (Maitre de conférence en sciences politiques à Lille 2) et quand il parle de lui, il n’hésite pas à préciser : « Moi qui suis l’archétype du BoBo citadin,  je n’ai pas de voiture,  je ne me déplace qu’en vélo, en train ou à pied, j’ai un lombricomposteur dans ma cuisine, je vais dans un jardin partagé et pour autant j’ai un mode de vie qui est absolument intenable écologiquement sur le long terme et j’ai une empreinte écologique qui est insoutenable pour la planète, même moi qui ai écrit un bouquin sur la permaculture. Je travaille à changer cela, mais pour l’instant c’est un constat que je suis bien obligé de faire ».

Christian Coste  : qu’est-ce qui vous a conduit à écrire ce livre sur la permaculture ?

Grégory Derville : « ce qui m’a amené à ces travaux de recherches et ces thématiques environnementales, c’est juste un retour aux sources de mes sujets de prédilection de quand j’étais petit. Tout simplement ça. Je vivais à la campagne dans la région grenobloise et j’étais très sensibilisé à la défense des animaux, j’avais une vision de la nature très romantique. A 8, 9 ans (né en 1970-ndr) ce qui me plaisait, c’était les animaux et je rêvais de créer une réserve pour les animaux. Ce que je décris dans le livre, cette nécessité de créer des oasis permaculturelles un peu partout, c’est une espèce de retour aux sources pour moi. Entre temps, comme j’étais un bon élève, les années passent, les études sont réussies, puis  l’université, et au fil des opportunités, j’ai choisi des thématiques bien éloignées des questions environnementales. Mais dans mes pratiques de consommation je continuais à être sensibilisé à l’écologie, et par exemple j’ai toujours voté écolo. Il y a une dizaine d’années j’ai eu l’occasion de prendre en charge un cours sur « environnement et politique » en Master de science politique. Je réalise depuis tous les ans une revue des travaux récents sur l’état de la biodiversité, le changement climatique, les pollutions diverses et variées, pour actualiser mon cours. Et tous les ans, je dois dire que c’est assez déprimant pour ne pas dire plus. »
Climat - Température moyenne de la planète depuis 1850

CC : Dominique Bourg a signé le 6 janvier 2018 une tribune dans le monde, on pouvait y lire : « Le récit écologique dominant est encore trop tendu vers la catastrophe pour devenir le levain d’une société nouvelle » et vous semblez donc participer à ce catastrophisme, non ?
GD : « c’est un discours qu’il tient dans un média grand public parce qu’il est dans une logique d’essayer de faire prendre conscience et de ne pas effrayer, mais sur le fond il est plus pessimiste que cela. D’ailleurs, Il a écrit un texte dans lequel il dit clairement que l’imaginaire de la crise écologique est trompeur, car dans une crise, il y a une sortie et là, nous sommes face à une catastrophe en cours. L’effondrement est en cours et il est inéluctable s’il n’y a pas des transformations radicales dans nos modes de vies, nos modes d’organisations, la catastrophe peut éventuellement être évitée mais au prix de changements très très radicaux.
Si je veux raconter la réalité et préparer les étudiant(e)s à être des professionnels des politiques écologiques, environnementales, de développement durable etc, il faut qu’ils sachent quelle est la situation pour mettre en place des politiques ajustées et non fondées sur des fantasmes ou des illusions. Mais cette posture est psychologiquement éprouvante, alors il y a quelques années, je me suis dit qu’il fallait que je trouve, sans renier cette vision terrible mais à mon avis objective et lucide, des outils, des pratiques pour agir.
Mon souci c’est de regarder les choses en face et en même temps agir. Je crois que nous avons besoin d’une action qui ne soit pas fondée sur l’espoir, mais sur la volonté. L’espoir ça peut aider à mettre en mouvement, mais le problème c’est que par ailleurs, ça nous empêche de prendre conscience de la gravité de la situation et donc ça nous empêche de prendre les mesures qui sont adéquates pour transformer cette situation ».

CC : est-ce qu’en aval de cette analyse lucide et objective, il n’y a pas aussi  le verre à moitié plein, avec un mouvement qui se fait jour et des gens qui ont conscience de la situation et qui commencent à changer leur façon de vivre ?
GD : « oui, mais je n’ai pas ce regard. Certes, il y a un mouvement en cours mais c’est très éloigné des enjeux et de ce qu’il serait nécessaire de transformer. Ce qui me pose problème dans la mise en avant de ce qui marche déjà, c’est que cela peut (je dis bien cela peut), retarder le moment de la prise de conscience, et le moment ou l’on décide qu’il faut agir, et agir de façon radicale parce que les enjeux sont gigantesques ».

CC : Ce qui vous gêne c’est que ce sont des niches, des marges ?
GD : « c’est que ce n’est pas à la hauteur des enjeux tout simplement. Ce que je veux dire, c’est que bien sûr des choses changent, bien sûr un certain nombre de gens sont sensibilisés mais ils sont d’abord très peu nombreux. On sait très bien dans le monde de l’écologie qu’on ne convainc quasiment que des déjà convaincus. A chaque fois qu’on organise des débats sur les pesticides ou sur un sujet en rapport avec l’écologie, ce sont toujours les mêmes que l’on voit et l’immense majorité des gens n’en ont  rien à faire, il faut être clair. Et il y a un greenwashing de la part des administrations, des entreprises qui est pharamineux. On nous vend des solutions miracles, technologiques, high-tech qui sont elles aussi écologiquement absolument intenables. Alors je sais bien que beaucoup de gens trouvent ce discours très pessimiste, notamment dans le monde de la permaculture  ou on essaye d’insister plus sur les solutions que sur les problèmes, mais pour moi la permaculture c’est une manière de réussir à allier un discours réaliste quant au fait que la situation est grave et qu’on va totalement dans le mur, que c’est déjà écrit si rien ne change et en même temps, la mise en avant d’une méthode, d’une manière de voir la réalité, une philosophie de vie, un ensemble de pratiques, de principes, qui apportent une solution simple et efficace à condition qu’elle soit mise en œuvre de manière généralisée. Allier le regard lucide sur la situation et une volonté d’apporter une réponse concrète. »

CC : justement, si on observe cette prise de conscience dans notre socio-culture, avec des applications à la marge chez les convaincus, est-ce au politique de mettre en œuvre les solutions ou à chaque individu à l’image de la philosophie du mouvement de Pierre Rabhi, les colibris ?
GD : « ça ne peut être qu’une articulation entre les deux forcément. Bien entendu, ça ne suffira pas que l’on se mette à tous consommer bio et à rouler à vélo parce que les structures sociales et économiques telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui font que c’est impossible que du jour au lendemain toute la société se mette à ça ou alors ce serait dans une panique invraisemblable. Oui bien sûr il faudrait qu’idéalement tout le monde cultive son balcon, son jardin , mais comme tout le monde ne le fait pas, trois jours d’arrêt d’approvisionnement des magasins, des supermarchés et c’est la guerre civile parce qu’on n’a plus rien « à bouffer ». J’exagère à peine. Donc des mesures politiques, et je ne parle même pas de ce qui se passe au niveau du climat ou là c’est au niveau planétaire que des décisions doivent être prises, nous en avons besoin pour généraliser des modes d’organisation, des processus industriels nouveaux, etc. Mais force est de constater que la majorité de la population n’y est pas prête, ne le veut pas, que les pouvoirs publics et les élu(e)s et on peut le comprendre, n’ont pas envie de se faire « bananer » aux élections suivantes, donc ce n’est pas quelque chose qui les sensibilise beaucoup.

 Ferme du Bec Hellouin

Ferme du Bec Hellouin

En attendant et pour mettre un peu sous pression le champ politique, on peut mettre en place des alternatives, des structures qui sont alternatives et qui marchent localement. Et on peut supposer que plus on va être nombreux à créer des ressourceries, des jardins partagés, des éco-lieux, des éco-hameaux etc, plus ça va concerner du monde, plus ça va concerner des électeurs nombreux, et plus ces électeurs auront la possibilité de faire pression par le nombre sur les décisions publiques. Il peut y avoir un cercle vertueux entre les deux. »

CC : vous dites que ce mouvement vers l’écologie cela reste à la marge des déjà convaincus, alors comment créer l’effet levier pour entrainer le plus grand nombre ?
GD : « ma conviction de plus en plus, c’est que ça ne peut passer que par l’exemple concret de ce qu’un voisin, un ami, un membre de sa famille, met en place lui même. C’est le retour d’expérience. Je n’ai jamais composté de ma vie, je vais chez des amis, chez un voisin et je vois un composteur dans sa cour ou mieux je vois un lombricomposteur dans sa cuisine, je soulève le couvercle, je demande qu’on m’explique et on me montre comment ça fonctionne ; je constate que ça ne sent pas mauvais, que ça marche bien, que le volume de déchets a été divisé par 2, 3, 4, 5 et il me montre ses plates bandes et ses tomates et il me rappelle que les fraises qu’il m’a apporté elles ont poussé dans une terre qui a été abondée par ce compost et je constate que c’est faisable, que c’est une activité que je vais pouvoir faire avec mes enfants etc. C’est de ce concret là dont je parle, pas simplement signer des pétitions contre une ferme des mille vaches ou contre un aéroport à notre dame des landes (ce dont on a besoin aussi, bien entendu, et d’ailleurs je le fais aussi !) ; pas simplement essayer de sensibiliser les gens en diffusant des informations catastrophistes sur l’état de la planète, d’informer sur les AMAP qui fonctionnent, sur ce que c’est que la permaculture, mais aussi mettre en œuvre des actions concrètes qui fonctionnent, qui sont efficaces, et qui peuvent donner envie à d’autres de venir à l’écologie chacun à sa manière. Il peut y avoir un papy qui jardine depuis 60 ans de manière conventionnelle, qui désherbe avec du roundup, qui passe le motoculteur, qui vient à la permaculture, à l’écologie par des amis qui jardinent de manière différente, plus respectueuse de la nature : il se rend compte que ces amis produisent tout autant, qu’ils ne se font plus mal au dos, et peut-être qu’ il va se dire, finalement l’écologie c’est intéressant. Et par cette entrée, il va peut-être découvrir d’autres dimensions de l’écologie, par exemple le transport, la santé etc. Une autre porte d’entrée dans la transition écologique, ça peut être un bricoleur invétéré qui intègre un atelier de réparation un repair-café dans lequel il va apprendre à d’autre personnes plus jeunes à réparer un grille-pain, à renforcer une chaise ou je ne sais quoi. Dans ce cadre là, lui qui connaît bien le bricolage, va rencontrer d’autres personnes qui vont lui parler de la manière dont ils se soignent, de la manière dont ils se déplacent à vélo…Chacun peut venir à l’écologie, à la transition, par son entrée en tirant un fil de la pelote. Donc, je crois beaucoup à la vertu de l’exemple. »

Prévisions de production - pétrole

Prévisions de production – pétrole

CC : vous y allez très fort dans votre livre, vous dites : «  le développement des énergies renouvelables (EnR) est gourmand en métaux et en énergies et on ne pourra pas remplacer les énergies fossiles par les EnR propres ou vertes ». Là vous nous poussez dans l’impasse.
GD : « le terme impasse, c’est exactement ça ! c’est une évidence. Regardons les ordres de grandeur. Les quantités d’énergies consommées au niveau mondial et la proportion de cette énergie qui vient des EnR aujourd’hui elle est infime, ridicule. En gros les énergies renouvelables, c’est l’hydraulique et tous les sites sont déjà équipés, reste l’éolien et le solaire qui représentent une quantité à la marge même si ça augmente beaucoup et c’est absolument inenvisageable que ça puisse remplacer toutes les autres formes d’énergies au niveau de consommation actuelle. C’est physiquement impossible, on n’aura jamais assez de métaux, de métaux rares qui pèsent une tonne et qu’on trouve dans les éoliennes. Il y a un très bon livre qui vient de sortir là-dessus « la guerre des métaux rares » de Guillaume Pitron ». Ce genre de livre (il y a aussi celui de Philippe Bohouix, « L’âge des low-tech » nous invite à comprendre que la seule solution, c’est une diminution drastique de nos consommations d’énergies, même pas un facteur 4, en fait il faudrait les réduire de beaucoup plus. Je dis  »il faudrait », mais en fait, c’est plutôt  »il faudra », parce qu’on n’y coupera pas, qu’on le veuille ou non.

CC : le fait d’avoir une petite autoconsommation avec du panneau photovoltaïque pour un frigo, de la lumière, etc, sachant que les métaux sont recyclables, c’est une démarche de transition écologique non ?
GD : « Oui bien sûr, cela représente une avancée, mais à l’échelle de l’histoire humaine, ça va seulement permettre de gagner un peu de temps. Et puis attention avec le recyclage, il faut être modeste sur ce que cela permettra. le recyclage est une activité qui est extrêmement gourmande en énergie et il y a une déperdition forte dans le cycle de recyclage. Donc en fait, il y a un cercle vicieux qui fait qu’à terme à l’échelle géologique ou de l’espèce humaine c’est un système qui ne peut pas fonctionner, qui ne peut pas être durable. A moins d’aller chercher des métaux et de l’énergie sur d’autres planètes, mais je n’y crois absolument pas. De tout façon il faut bien voir que l’énergie et les métaux que nous utilisons aujourd’hui nous permettent d’avoir un mode de vie qui détruit par ailleurs les écosystèmes, la fertilité des sols, qui déforestent, qui modifient le climat, donc, de toutes façons, soit ce ne sera plus possible de vivre comme nous le faisons dans pas très longtemps, soit ça continuera à être possible et ça nous amènera à notre perte d’une autre manière.
Il n’y a pas d’autre alternative que de mettre en place des systèmes dans lesquels en gros on n’a plus besoin d’une autre énergie que celle que nous procure, le soleil, le vent, l’eau etc. Vous parlez de frigo par exemple, il n’y a pas besoin de frigo, j’en ai un parce que j’habite en ville mais à terme quand j’habiterai à la campagne et j’espère que ça viendra vite, je pourrai m’en passer. Avant on se passait de frigo, on avait une cave on n’avait pas de beurre, la viande on la salait ou on en consommait moins, les produits laitiers étaient du jour. On n’a pas  »besoin » d’un frigo dans notre monde d’aujourd’hui, c’est un besoin que l’on s’est créé parce que nous ne produisons pas notre nourriture, parce qu’elle vient de loin, parce ce qu’on vit dans des logements qui sont chauds où il n’y a pas de cave. La lumière c’est pareil, ce besoin d’être éclairé l’hiver c’est parce qu’on a une vie sociale mais à la campagne il y a 300 ans, la lumière c’était la bougie et la vie au rythme des saisons. »

CC : le risque de ces paroles là, quand vous faites référence à il y a 300 ans, la bougie, la cave, c’est de provoquer cette réaction immédiate, « on va quand même pas revenir à la bougie ?« . Dans votre livre vous posez les principes de la permaculture laquelle consiste à s’inspirer des lois de la nature, or toute l’évolution de l’humanité consiste à se libérer des lois naturelles.
GD : « mais à quel prix ? jusqu’à présent ça a été possible mais on arrive au stade ou ce ne sera bientôt plus possible du tout. Bien entendu que mes propos génèrent des réactions sur le retour à la bougie etc, ma seule réaction c’est de dire, c’est physiquement inévitable.  C’est comme si quelqu’un vous disait, c’est Desproges qui disait ça :  »j’aurai pas le cancer parce que je suis contre ». (Pierre Desproges est mort d’un cancer à l’âge de 49 ans – ndr) Ce n’est pas parce qu’on ne veut pas que quelque chose arrive que ce quelque chose n’arrive pas . Ce n’est pas parce que quelque chose nous déplait que ça n’arrivera pas.
J’ai une amie qui me disait qu’avec ce que je  décris comme mode de vie, il n’était pas question qu’elle retourne vivre à la campagne. Ma réponse c’est que le jour ou elle n’aura plus rien à manger, pas d’énergie et pas d’eau quand elle tourne un robinet, elle se dira peut-être,  »campagne me voilà ! ». Ma crainte, c’est que l’absence de prise de conscience de ça nous amène à continuer à faire fonctionner un système qui est déjà virtuellement foutu. Alors que nos connaissances, notre énergie, notre volonté, devraient être consacrées à mettre en place sur tous les territoires, partout, des systèmes alternatifs qui permettent de vivre de manière durable mais pas comme il y a 300 ans, parce que nous avons de nouvelles connaissances, de nouveaux outils qui permettent de garder ce qui est vraiment durable et efficace mais pas superflu. Par exemple, un téléphone portable, c’est superflu, ça n’est pas durable, ça n’a pas d’utilité alors qu’une grelinette, un vélo, une charrette à bras avec des roues c’est efficace. Mais il ne s’agit pas de revenir au temps des cavernes. »

CC : vous nous demandez de raisonner avec un grand écart entre le constat actuel pessimiste et la nécessaire transition de nos modes de vie, alors qu’aujourd’hui l’ eau coule des robinets, la lumière est partout et la nourriture abonde ?
GD : « effectivement, j’ai des réactions de ce type, « c’est pas vrai, tu racontes n’importe quoi, l’humanité a toujours trouvé des solutions, elle en trouvera encore », mais c’est une cécité complète. Oui Léonard de Vinci a été capable d’inventer des machines formidables mais aujourd’hui on est un petit peu plus nombreux qu’à l’époque, on a des écosystèmes qui sont en train d’être dévastés, on a exploités les gisements les plus façiles à exploiter pour à peu prés toutes les matières premières essentielles (pétrole, métaux…), donc les ingénieurs seront certainement capables d’inventer des dispositifs très efficaces sur le plan écologique, mais de là à ce qu’on soit capable de les produire en grande série pour combler les besoins de milliards d’humains…
Prenons l’exemple de solar impulse .Je n’ai pas les chiffres exacts en tête, mais à la louche ça pèse une tonne 4 avec 800 kilos de batteries, ça emmène un bonhomme qui pèse 60 kilos à 80 km/h. Alors  fabriquer un prototype de 747 ou d’A320 uniquement électrique et solaire c’est de l’ordre du fantasme. On pourra peut-être en faire un en kevlar ou en carbone, mais qui coûtera peut-être 3 milliards d’euros, je ne sais pas… Nous sommes encore dans une situation de déni et quand on me dit que je raconte n’importe quoi, je demande :  »quelles sont vos  solutions ? vous croyez vraiment qu’on va pouvoir continuer comme ça ?vous croyez vraiment que des ingénieurs vont nous sortir du chapeau des solutions miraculeuses pour inverser le changement climatique, rétablir la biodiversité, restaurer les sols, etc., tout en permettant à 7 milliards d’humains de vivre à l’occidentale ? vous y croyez sérieusement ?  » Face à ce déni de la crise écologique il faut absolument proposer des solutions. C’est l’objet du livre.
Souvent j’entends,  »on va y arriver », mais si on n’a pas conscience de l’ampleur des efforts à faire pour y arriver, et bien on n’y arrivera pas. Je pense qu’il est plus réaliste de dire  »on ne va pas y arriver, sauf si on prend conscience de l’ampleur des efforts à faire et si on s’y met tout de suite ».

Les écologues savent bien qu’il y a des situations où on ne sait qu’après coup que la situation est irréversible. On en est là avec le climat, l’effondrement de la biodiversité, la perte des sols etc. J’ai tendance à penser que sauf sursaut gigantesque, c’est plus ou moins foutu. Mais ce n’est pas parce que c’est plus ou moins foutu qu’il ne faut rien faire. Jean-Pierre Dupuy, philosophe des sciences nous dit à peu près : « faire ce qui doit être fait pour que ce que l’on craint n’arrive pas ». Pour faire et agir il faut commencer par se dire que la situation est catastrophique sinon on en reste à des mesurettes, comme aller au Biocoop plutôt qu’au supermarché, consommer bio, et ça ne change rien au fait que les tomates que j’achète au Biocoop elles viennent de loin, poussent sous serres, transportées en camion etc. Peut-être je suis chez énercoop, c’est des éoliennes ok, mais dans lesquelles vous avez des aimants qui sont fabriqués avec des terres rares qui viennent de chine etc. Ces solutions là sont des avancées, mais si on se contente de ça, elles ne sont absolument pas à la hauteur de ce dont on a besoin. Il se trouve que ces dernières années,  j’ai vu des lieux qui fonctionnent selon le principe de la permaculture et qui eux sont réellement résilients. On peut très bien imaginer des lieux comme ceux là répartis sur l’ensemble du territoire, partout sur la planète et notamment dans les campagnes, parce que le mode de vie urbain tel qu’il est généralisé aujourd’hui est condamné à terme. Les villes actuelles ne produisent pas leur nourriture. Je dis aux étudiants,  »vous allez connaître l’exode urbain ».
La durabilité, ce n’est pas seulement, mes enfants, mes petits-enfants, ça se joue aussi à l’horizon  de 200 ans, 500 ans, 5000 ans. Il n’y aura plus de téléphones portables alors depuis belle lurette. »

CC : dans l’esprit de la permaculture, le tourisme de masse par exemple est son contraire, non ?
GD
: « Presque tous nos arrières arrières grand parents passaient toute leur vie dans un rayon de 10 ou 15 km autour de leur lieu de naissance. Le tourisme fait partie des premières activités humaines qui s’effondreront, ça et le sport de haut niveau et les sports mécaniques. Montaigne qui avait beaucoup d’argent, a voyagé une fois dans sa vie, une seule fois ! et ça a duré pendant deux ans. Et c’était un voyage à cheval. Aujourd’hui on fait des séjours de 10 ou 15 jours à l’autre bout du monde avec l’empreinte écologique que cela induit.

Les solutions que l’on nous présente comme des alternatives efficaces sont censées nous permettre de dormir tranquillement. Ça permet de nous dire :  » ne vous inquiétez pas braves gens, il y a des solutions écolos vous pourrez continuer à vivre comme vous le souhaitez ». Pourtant nous devrons apprendre à vivre autrement de force ou de gré sans emballages par exemple, parce que notre dépendance au pétrole est forte et cette ressource énergétique va se raréfier et coûter de plus en plus cher à extraire.
Le secret se cache dans la simplicité, pour nous nourrir, nous habiller, nous déplacer. Une immense partie de ce qu’on va perdre avec l’effondrement des ressources nous fera prendre conscience du fait que dans les modes de vies de la plupart d’entre nous (et pas que les très riches), le superflu passe souvent avant le nécessaire. Nous sommes dans des sociétés qui sont intenables écologiquement et je ne sais pas quand elles vont s’effondrer, si ce sera rapide ou lent, dans 2 ans, 15 ans ou plus… ce que je sais c’est que dans vingt ans le monde dans lequel on vivra n’aura rien à voir avec celui qu’on connaît aujourd’hui. »

CC : vous citez dans le livre, cette phrase de Bill Molison, l’inventeur du concept de permaculture : « alors que les problèmes du monde deviennent de plus en plus complexes, les solutions demeurent honteusement simples ». Les solutions ?
GD : « d’abord je ne parlerai pas de solutions pratiques, je parlerai en priorité d’un changement d’ état d’esprit. La solution c’est d’abord de bien comprendre les principes de la permaculture et de les comprendre de manière suffisamment intime pour les intégrer à l’ensemble de ses pratiques tout au long de sa vie ; la manière de consommer, de se nourrir, de se déplacer etc,  et à partir du moment ou on est dans cet état d’esprit là, dans cette philosophie là, les solutions techniques ou pratiques elles se dessinent d’elles mêmes en fonction du contexte où l’on est, de ses ressources, de ses capacités, de ses compétences, de son entourage, etc. On va spontanément découvrir et mettre en place les solutions qui nous conviennent et qui sont adaptées à notre contexte. L’essentiel, ce n’est pas de penser en terme de solutions techniques c’est de penser en terme d’état d’esprit. Penser long terme, aborder les situations de manière globale, minimiser la dépense d’énergie, travailler de façon efficace, laisser le plus possible travailler la nature etc. Une fois compris les principes de la permaculture, chacun trouve ses propres solutions. »

CC : et pour celles et ceux qui diront, oui mais c’est des trucs de BoBo pour les BoBo ?
GD : « ils n’ont qu’à lire le livre ; je ne pense pas que ça s’adresse aux BoBo. Je suis l’archétype du BoBo, certes, mais je travaille et je me prépare à ne plus l’être pour ne plus être dans ce mode de vie qui n’est pas raisonnable. »

la permaculture - Grégory Derville - Ed Terre vivante

La permaculture – Grégory Derville – Ed Terre vivante

Le livre de Grégory Derville sur la permaculture est un manuel complet, à l’usage de celles et ceux qui souhaitent participer activement à leur échelle à la transition écologique.

Ajouter un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *