Thomas Guénolé, une écologie des solutions pour sortir du catastrophisme

Share Button

Avant propos :

Ce qui suit est une retranscription « in texto » d’un entretien avec Thomas Guénolé autour de son dernier ouvrage, « la fin des haricots ». Comme il l’avoue lui-même, c’est un nouveau converti à l’écologie. Il ne s’agit pas ici d’une discussion mais d’une conversation autour de l’écologie des solutions. Dans l’ensemble, son propos est constructif.
la fin des haricots

Universitaire, essayiste et surtout politologue, il pense que la prise de conscience du désastre écologique est quasi acquise et qu’il faut désormais passer du catastrophisme à la recherche des solutions. Là, il à raison sur la recherche des solutions, mais il est bien optimiste sur la supposée prise de conscience des populations. Si la plupart des solutions proposées par l’auteur sont, il faut bien le constater, dans « l’air du temps » avec des recettes de « bonnes pratiques », l’ensemble conduit à conserver le même niveau de confort avec un plus haut niveau de vertu. En matière d’écologie, cela n’est pas possible. A chercher l’or, on peut passer à côté du diamant ! passer au vélo électrique et à la voiture électrique laquelle en moyenne approche les deux tonnes, il faudra m’expliquer en quoi c’est écologique.

Il souhaite la constitution d’un gouvernement écologique mondial à l’initiative de l’ONU. Il souhaite sauver les mers et les océans ; propose de reforester ; nous explique que les pays riches doivent faire moins d’enfants ; qu’il faut dire adieu aux déchets en prolongeant les garanties à 5 ans, des produits essentiellement électroniques. Qu’il faut faire des transports verts et des villes vertes. Etc.

Bref, c’est une approche globale fruit d’un travail réalisé par un citadin privilégié vivant dans un « éco quartier ».

De toutes « ces » solutions, celles qui émergent et montrent le bout de leur nez de manière très marginale, sont celles qui se développent avec la volonté de ne surtout pas trop modifier les modes de vie. Ce n’est pas la RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) des entreprises qui permet une croissance écologique, car ces outils de « management et de communication corporate » ne sont que des positionnements sur des marchés, qui ne transforment qu’à la marge les process de production et de distribution.

Dans l’ensemble, le livre de Thomas Guénolé est agréable à lire mais à vouloir penser « macro » avec de bonnes intentions, il fait l’impasse sur l’essentiel : faire mieux avec moins. Ainsi, réduire le poids et la puissance des véhicules ; réduire fortement la vitesse sur tous les axes routiers ; remplacer tous les emballages plastiques y compris dans l’alimentaire par des biomatériaux, biosourcés, biodégradables et compostables ; éteindre toutes les lumières des villes et villages la nuit de 23h00 ou 24h00 à 05h00 ou 06h00 ; remettre en place une économie de la consigne ; … ne sont pas dans les priorités de « la fin des haricots ».

L’écologie ne passera pas par la constitution d’un gouvernement écologique mondial ; c’est une vue de l’esprit, un vœu pieux ; il suffit de constater les résultats des COP et particulièrement la suite du fameux accord de Paris.

L’écologie ne passera pas par le néomalthusianisme, car c’est oublier que le nombre n’est pas le problème, le problème c’est la surconsommation et l’immense gaspillage des ressources alimentaires entre autre.

L’écologie ne passera pas par les bonnes intentions, elle s’imposera (ou pas) par contraintes, car il ne faut surtout pas oublier que depuis le néolithique, les humains s’emploient à se délivrer des lois de la nature pour faciliter leurs conditions d’existence, et il faudra beaucoup d’abnégation pour agir avec vertu et conserver une planète agréable à vivre.

Thomas-Guenole

Christian Coste : Vous publiez cette année 2023, « la fin des Haricot » aux éditions PLON. C’est le livre d’un nouveau converti ?

Thomas Guénolé  : OUI

CC : Il y a quelque chose qui me gène un peu quand on parle d’écologie ces dernières années, c’est quand on propose de sortir des énergies fossiles, charbon , pétrole et gaz. Oui allons-y ! Vous reprenez cette position. Mais comment fait on pour faire des panneaux photovoltaïques dont les températures jusqu’à 2000 degrés sont nécessaires dans la fabrication des cellules à partir de la silice ? comment on fait pour faire des éoliennes sans recourir aux énergies fossiles, est ce que vous avez des pistes la dessus ?

TG : alors, moi je ne suis pas ingénieur, donc je ne vais pas m’improviser dans toutes les solutions techniques nécessaires. Ce que je sais en tout cas, c’est que nous n’avons pas le choix. Nous devons arrêter les énergies fossiles et pour les arrêter il faut ;

1 consommer moins d’énergie de manière générale, ça c’est les différentes mesures de sobriété.

2 remplacer notre consommation d’énergie fossile par de la consommation d’autres types d’énergies.

3 aller beaucoup plus loin et beaucoup plus fort dans la recherche développement et dans la recherche fondamentale en matière énergétique.

Si demain on a la fusion nucléaire, après demain, il n’y a plus de problèmes.

CC : on n’y est pas encore, loin de là.

TG : oui il faut mettre des moyens. Je suis très inquiet quand je vois un sorte du syndrome du héron frapper beaucoup de gens qui sont sincèrement écologistes. La fable du héron c’est quand le héron voit passer différents poissons qu’il envisage de manger, mais celui là est trop petit, l’autre trop gros, celui-ci n’a pas la bonne couleur et le héron fini par mourir de faim. Et ce que j’appelle le syndrome du héron pour beaucoup d’écologistes tout a fait sincère par ailleurs, c’est qu’ils sont très très exigeants et très sélectifs sur ce qu’on doit faire et ce qu’on doit pas faire dans tout ce qui est possible et qui obtiendrait des résultats positifs. Or, la situation est déjà tellement grave que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de piocher en l’occurrence dans les énergies de substitution.

ET le débat pour ou contre la sortie du nucléaire n’est un débat rationnel que dans le rapport au risque.

Là ou je veux en venir c’est que le débat entre plus de sobriété et plus d’énergie décarbonée est stupide parce qu’il faut les deux.

Et les débat ENR ou nucléaire est stupide parce qu’il faut les deux.

On a un tel champ de contraintes qu’on ne peut pas se permettre de piocher.

C’est ça que j’appelle le syndrome du héron.

CC : A propos de la sobriété, au chapitre 8, vous écrivez qu’en ville, pas besoin de voiture parce qu’il y a des équipements de transports en commun et le développement du vélo en site propre. Et que dans le reste de la France, hors villes et agglomérations, il faut rouler électrique.
Mais quand on voit des auto électriques de 1,5 à 2 tonnes qui consomment beaucoup de ressources ce n’est pas particulièrement écologique. Vous avez Gazelle tech ou Lormauto qui proposent des solutions avec des véhicules adaptés, plus légers, moins puissants, moins rapides.

TG : j’ai fais en sorte d’avoir un livre qui reste lisible pour le grand public. Et je suis rentré dans le détail sur plusieurs sujets, mais si j’avais eu cette démarche sur tous les sujets, cela aurait posé un problème de lisibilité.

Thomas-Guenole-02

CC : Votre livre aborde la question du politique avec le gouvernement écologique mondial, la question des mers et des océans et la reforestation entre autre. C’est l’aspect macro de votre analyse, qui est détaché des comportements individuels volontaires. N’est ce pas une vue de l’esprit quand on sait que le politique au niveau mondial est toujours à la traîne.

TG : c’est à l’onu d’avoir l’initiative d’un gouvernement écologique mondial. Je précise quelque chose parce que dans votre question vous soulevez la faisabilité des propositions.

CC : non je ne pose pas la question de la faisabilité mais la question de la responsabilité des politiques.

TG : oui alors si vous envisagez la question dans ce sens, disons que, après avoir passé beaucoup d’années à analyser commenter et conseiller ce que font des dirigeants politiques de niveau national, je suis arrivé à la conclusion que en fait ils sont le plus souvent à la remorque des producteurs d’idées et ne sont pas des producteurs d’idées eux mêmes. Il y en a mais c’est rare. J’ai eu la chance et l’honneur de travailler pour jean louis Borlo qui était lui un producteur d’idées.

Donc quand vous voulez que des dirigeants politiques fassent des choses, le plus efficace c’est de produire les idées clés en main. Parce que si vous attendez qu’ils les aient eux même, ils sont trop occupés à faire autre chose, notamment gouverner (rires). C’est triste a dire mais, imaginer ce qu’il faut faire d’une part, et gouverner d’autre part, ce sont deux activités généralement séparées. Ce ne sont pas les mêmes gens qui les font.

« l’indignation et l’alerte c’est déjà largement fait. En revanche, ce sur quoi le travail n’est pas suffisamment fait, c’est la pédagogie de l’écologie des solutions »

CC : j’entends bien, mais pour ne pas être plus pessimiste que vous, mais quand même un peu ; si on prends par exemple le cas d’un Nicolas Hulot, qui « pète un plomb ». A un moment donné, il dit, « c’est pas possible », pourtant lui il a la feuille de route, il se rends compte qu’il y a un système de ploutocratie, de groupes d’intérêts liés à des privilèges, des lobbies, des intérêts divergents, des pressions économiques, …

TG : alors je vous réponds la dessus. Il y a plusieurs fronts. Il y a la bataille culturelle qui porte sur la prise de conscience collective, elle porte sur le fait que les opinions publiques soient sensibles aux problèmes et aux solutions, j’insiste et aux solutions. Elle porte sur le fait qu’il y ait des consommateurs d’offres économiques et d’offres politiques qui soient sensibles à la fois aux problèmes et aux solutions. Ça c’est une première ligne de front. La dessus les choses se passent de mieux en mieux.

Ensuite vous avez un front qui est la transformation de la production de biens et services dans un sens écologique. Là aussi les choses vont de mieux en mieux. Je vous prends un exemple, je donne un cours de marketing du luxe à lyon, le sujet qu’on a le plus abordé avec mes étudiants, c’est la mutation écologique du secteur du luxe qui va de soi dans ce secteur, on en est plus au stade ou ils envisagent de le faire, ça relève de l’évidence parce que les drivers de ce marché, ce sont des consommateurs plutôt jeunes et ces tranches d’âge là sont tellement sensibles à ces sujets, à cet enjeu, que ne pas convertir le secteur du luxe aux enjeux écolos, en toute logique ce serait suicidaire pour la filière. C’est un exemple parmi d’autres.

Et puis, il y a le front politique c’est à dire le front des dirigeants politiques et là, comment dire, c’est là qu’on est le plus en retard comme d’habitude. Mais moi je me suis dit en terme de positionnement d’intellectuel engagé, qu’est ce que je peux apporter qui ne soit pas déjà fait. Et c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j »ai fait un livre d’écologie des solutions et non pas un livre d’indignation ou d’alerte.

Je me suis dit : l’indignation et l’alerte c’est déjà largement fait. En revanche, ce sur quoi le travail n’est pas suffisamment fait, c’est la pédagogie de l’écologie des solutions. Et ça tombe bien, c’est des choses que je sais faire. Parce que ça fait des années que je suis prof, essayiste, conseiller de dirigeants. Je peux apporter le fait que toutes les catégories qui précèdent, le grand public, les dirigeants économiques, politiques, puisses s’emparer de propositions parce que beaucoup d’entre eux veulent bien faire mais ne savent pas comment et donc mon livre sert à décloisonner l’écologie des solutions, parce que les solutions existent mais il faut aller les chercher.

Et maintenant je pense qu’on a un vrai problème, j’insiste la dessus. Je vois passer sur une émission grand public un débat entre une journaliste spécialisée écologie et un dirigeant politique de droite. Et ce débat a fait beaucoup de bruit en France , sur les réseaux sociaux. Sauf que, je suis désolé, j’ai regardé, c’était du diagnostic encore. Pardon , c’était presque uniquement du diagnostic et on reste dans l’écologie qui tire la sonnette d’alarme, c’était nécessaire, ça a permis une prise de conscience collective, mais je pense vraiment qu’elle a atteint ses limites car dans notre écrasante majorité, on a déjà compris que l’heure est grave et qu’il faut agir.

CC : excusez moi de vous interrompre, oui, on a tous déjà compris, mais on s’en fout ! Je suis volontairement dans la provocation.

TG : je dirais pas qu’on s’en fout, je dirais qu’on en est au stade d’une dissonance cognitive qui moi m’inquiète beaucoup

CC : moi aussi

« la consommation d’un certain nombre d’objets qui sont écologiquement irresponsables continue à augmenter »

TG : il n’y a pas de cohérence entre l’inquiétude et la préoccupation sincère des gens dans leur majorité vis a vis de la catastrophe écologique, en particulier vis a vis des générations futures, ça c’est un truc très fort dans la population, d’une part et d’autre part, les comportements de consommation et de vote. C’est à dire que si vous prenez la dernière présidentielle, l’écrasante majorité des électeurs et des électrices n’ont pas optés pour des candidatures présentant des propositions écologiquement sérieuses.

Autre exemple, quand vous regardez ce qu’achète la population française de manière massive, la consommation écologiquement responsable reste marginale, et la consommation d’un certain nombre d’objets qui sont écologiquement irresponsables continue à augmenter.

Donc la dessus je suis d’accord avec vous mais moi ce que j’en déduis, c’est que simplement et simultanément, la population est majoritairement consciente qu’il faut transformer notre civilisation mais n’est pas capable a titre individuelle de basculer dans l’héroïsme écologique . Et donc ça me conforte dans l’idée que ce sont les gouvernants qui doivent accomplir cette transformation là.

CC : oui il ne faut pas accabler l’individu.

TG : depuis quand c’est le boulot des individus de transformer la société ?

CC : vous le dîtes dans votre livre, ce n’est pas l’accumulation des actes individuels qui font les évolutions.

TG : par exemple, le trou dans la couche d’ozone, quand on a voulu résoudre le problème, on a réussi à résoudre le problème.

CC : avec l’interdiction des CFC

TG : voilà, les CFC ont étés interdits par un accord gouvernemental. On n’a pas demandé aux gens de s’autoréguler en arrêtant d’utiliser les frigidaires qui utilisaient ces produits.

CC : vous qui êtes un fin observateur de la vie politique entre autre française, expliquez moi pourquoi ils n’ont pas le sens des responsabilités, nos politiques. Parce que l’alternative existe, les bioplastiques existent, des société comme lyspackaging, algopack se développent, le marché est là mais la demande n’est pas soutenue par l’état, et la demande ne peut venir que par une décision politique qui dît ;  quand vous êtes dans les magasins et que vous voulez acheter deux tranches de jambon ou du gruyère râpé dans du plastique, c’est interdit, on arrête avec ce genre de plastique. A votre avis pourquoi les politiques ne font pas cela ?

TG : attention, warning, moi je fais attention a ne plus parler d’interdiction, moi ce que je dis c’est transformation ou nouvelles règles parce que sinon, vous acceptez le story telling, là c’est le communiquant politique qui parle, des ennemis de l’écologie, cad, l’écologie = interdiction ; écologie = punition . Il faut que nous écologistes, on bannisse de notre vocabulaire, interdiction, suppression etc. et qu’on dise transformation, nouvelles règles.

CC : j’entends mais vous voyez que c’est en contradiction avec ce qu’on a dit avant

TG : c’est pas qu’on interdit les emballages en plastiques, c’est qu’on transforme les emballages, voyez  ? tout de suite on entends pas la même chose.

Cc : j’entends

TG : pourquoi ça ne se fait pas ? Pour une raison très simple ; les démocraties de marchés sont justement des marchés dans lesquelles les gouvernants gouvernent pour une clientèle, un électorat, et si cet électorat a un comportement désinvolte dans lequel les décisions à la hauteur de la catastrophe écologique qu’il faut stopper sont secondaires, et bien dans ce cas là, les gouvernements eux mêmes vont traiter cela comme un sujet secondaire. C’est la première grande explication.

Néanmoins ce qui me rends optimiste, dans ce pessimisme, c’est que la situation s’aggrave beaucoup plus vite que prévu.

CC : oui, tant mieux.

TG : et donc, les gens changent plus vite que prévu. Donc je le répète, en fait je sais que ça ne se voit pas forcément, mais ça va de mieux en mieux sur les différents fronts du combat écologiste, c’est à dire que nous ne sommes toujours pas à la hauteur de l’enjeu dans ce qu’on fait tous, mais, quand on compare même à il y a cinq ans, y a pas photo.

CC : c’est mon avis, j’ai écrit un article sur le fait qu’il faut arrêter de pleurnicher. Les erreurs sont humaines … il y a un travail qui est fait depuis une vingtaine d’années. Maintenant, je voudrai parler de votre position malthusienne

TG : néo malthusienne

…rires

TG : j’assume complètement

CC : j’entends bien, mais vous poussez le bouchon un peu loin avec le féminisme qui a libéré les femmes, mais quand vous dîtes une femme = 0 enfants dans les pays de l’hémisphère nord, vous écrivez ça ?!

TG : en fait ça dépends, pour passer à un enfant en moyenne, il y aura certains foyers où il y en aura 2, mais ça deviendra beaucoup moins fréquent, et il y aura d’autres foyers où ce sera 0.

CC : alors moi je suis gêné par votre néomalthusianisme. Si on suit cette logique, vous pouvez prendre une famille avec trois rejetons, qui consomme moins et mieux, qu’une famille avec un seul enfant. Donc vous comprenez, en faisant ça , on n’aborde pas cette question de consumérisme, de ce qu’on surconsomme et du fait qu’il faut arrêter de surconsommer. On produit des déchets et les déchets sont un marché, donc ils n’ont aucun intérêt à disparaître ou à diminuer, au contraire, puisque c’est un marché, on a en encore besoin, et tout ça vient s’interconnecter. j’ai bien vu que vous faisiez la différence avec les US et le Niger en terme d’impact mais j’ai trouvé que vous étiez osé là dessus en comparant les taux de natalité de ces deux pays et leur impact en terme de consommation d’énergie primaire et d’émission de co2; oh, vous voilà macroniste parce que en définitive vous allez nous amener vers une société à retraite par capitalisation, si on fait un enfant par foyer.

TG : les retraites c’est un autre sujet.

CC : je plaisante, recentrons nous

TG : je pense que nous ne sommes qu’au tout début de l’impact de l’intelligence artificielle et croisée avec la robotisation ; dans ce contexte nouveau, les schémas de répartition des richesses datant de l’immédiat après seconde guerre mondiale, en fait, sont largement périmés, donc je suis relativement consterné que nous ayons encore des débats sur des formats sociaux dont les paramètres de discussion datent d’il y a bientôt 80 ans. Ça me consterne, c’est mon premier point.

Deuxième point, si on admet la nécessité de la sobriété, c’est à dire consommer moins de ressources, on admet forcément la nécessité de faire davantage de contrôle des naissances. Parce que c’est de très très loin le levier le plus efficace de baisse de la consommation des ressources de l’espèce humaine.

C’est à dire que faire un enfant de moins que prévu en terme d’impact de baisse des consommation des ressources, ça écrase tout ce que vous pouvez faire d’autre.

Dans ce contexte, à partir du moment ou ce que je propose c’est pas 0 c’est 1, en quoi serait il excessif ou scandaleux ou radical de proposer que simplement grâce à la dénatalité voulue, l’espèce humaine soit deux fois moins nombreuse, ou moitié moins nombreuse sur terre. En quoi ça serait un drame ? Je pense sincèrement qu’il est temps de mettre raisonnablement sur la table le fait que non, proliférer de manière incontrôlée sous la forme d’une courbe démographique exponentielle, ce n’est pas raisonnable. C’est une forme d’ubris, le péché grec de démesure. Et donc moi je recommande de revenir à l’idéal stationnaire des penseurs de l’antiquité qui considéraient que avoir une population stable c’est bien ; alors il se trouve que notre population est excessive par rapport à ce que l’écosystème peut supporter et donc il faut d’abord êtres moins nombreux par la dénatalité et ensuite avoir une population stable. Donc ce que je propose est me semble t il très raisonnable et d’ailleurs ce qui me frappe c’est que les gens que ça choque le plus sont des gens qui ne sont plus en âge de faire des enfants, parce que c’est trop loin de leur zone de confort, de réflexion, alors que quand j’en discute avec des étudiants qui ont 20 ans, pour eux et elles, ça va de soi. En particulier pour les jeunes femmes. L’idée que j’aurai un enfant et pas deux. Et écologiquement je les en remercie.

J’ajoute qu’il sera plus facile d’aller dans le contrôle des naissances par la dénatalité voulue, que de faire baisser le consumérisme dans les proportions écologiquement nécessaires.

En afrique par exemple ce n’est pas pour des raison d’empreinte écologique s qu’il faut passer à un enfant progressivement, c’est pour des raison de développement économique. C’est à dire que pour sortir les pays de la pauvreté il faut que la transition démographique aille plus vite et pour ça il faut faire moins d’enfants, ce qui passe essentiellement par l’émancipation maximale des femmes.

CC : je voudrai que nous parlions un petit peu du chapitre « vegan power ». une question pour  vous le flexitarien. Là, on est toujours dans l’idée d’avoir une autre façon d’envisager le vivant, et donc de cesser de surconsommer. Le problème ce n’est pas la consommation, c’est la surconsommation, non ?

TG : alors là il y a deux façons de poser le problème.

La première façon de poser le problème sur la question de la consommation de produits issus de l’exploitation animale, c’est la tension sur les ressources. Si on raisonne comme ça, il faut absolument que l’humanité devienne flexitarienne c’est à dire,  un repas de viande ou de poisson maximum par semaine et par personne.

La deuxième façon d’aborder le sujet, c’est quand on raisonne sous l’angle de la condition animale et de la souffrance animale, dans ce cas là il faut devenir vegan.

Parce que si vous considérez que vous reconnaissez que les animaux que nous exploitons et que nous mangeons souffrent, ce qui n’est pas contestable pour le coup, dans ce cas, si vous reconnaissez la souffrance de ces animaux, la conclusion logique, c’est de donner à ces animaux le droit d’être protégés contre la souffrance, et donc c’est le véganisme.

Quand je dis ça, je ne donne de leçon à personne. Je suis d’accord avec les végans, et si j’étais totalement cohérent je devrais déjà être végan. J’ai essayé et j’ai échoué et donc je suis un flexitarien qui voudrait être végan.

Et s’il y avait beaucoup plus de gens dans cette situation, flexitariens voulant devenir végan, je serai déjà très content. C’est une philosophie générale. J’ai envie de dire à tout le monde , ne vous mettez pas martel en tête, ne sortez pas le silice, allez y pas à pas. De manière honnête et sincère faites de votre mieux et ce sera déjà pas mal.

CC : Parlons un peu du chapitre de votre livre sur les déchets : pour réduire fortement les déchets, ne faut il pas passer forcément par une contraction de la consommation ?

TG : oui, mais je suis précis dans le bouquin sur la façon de faire. Pour moi, c’est l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) qui a raison. Il faut augmenter la durée de vie des produits, c’est la manière la plus urgente, la plus saine et la plus efficace de contracter la consommation d’une façon qui ne soit pas particulièrement brutale pour le niveau de vie et de confort des gens.

CC : oui mais là vous parlez des équipements informatiques et de télécommunication, électroménagers, jouets, etc.

TG : quand vous regardez les statistiques des déchets, les deux priorités absolues, c’est les smartphones et appareils informatiques au sens large d’une part et d’autre part les vêtements. Et moi j’ai une proposition extrêmement simple qui est ; on fait passer la garantie sur tout ça à cinq ans et vous allez voir que soudain, des vêtements qui n’étaient plus portables au bout de deux ans, voir au bout de six mois et des smartphones qui ne fonctionnaient plus au bout de deux voir trois ans, du jour au lendemain ils vont fonctionner pendant cinq ans et un jour.

CC ; d’accord mais vous n’avez pas tellement abordé le problème des déchets ménagers en fait ; les bouteilles plastiques, par exemple.

TG : non , je vous parle de ce qui est le plus urgent en l’état actuel de la situation et le plus urgent de loin c’est les déchets smartphones et les déchets vêtements.

CC : pourquoi vous dites que c’est le plus urgent ?

TG : c’est que c’est là qu’on a le plus gros problème en terme de produits de consommation de masse suscitant des déchets absolument massifs. Mais quand vous parlez des déchets ménagers, là pour le coup la question c’est plus le recyclage, en particulier la méthanisation. Faire des déchets ménagers des sources d’énergie et nous sommes très en retard en France sur ce sujet. En réalité ce que je trouve très enthousiasmant c’est que sur beaucoup de sujets, il suffit de s’intéresser sincèrement à ce qui se fait de meilleur sur la planète et de le copier. Pour le système de recyclage, il faut copier les allemands. Sur le système de chauffage collectif à l’échelle de toute une ville il faut copier copenhague ; sur la piétonnisation il faut copier Bogotta etc. Sur l’énergie sur les quartiers modernes urbains autosuffisants et même excédentaires en énergie, il faut copier aussi des quartiers allemands.

CC : ah il y a un sujet que vous n’avez pas abordé à propos des espaces urbanisés, c’est l’extinction de l’éclairage la nuit de 23h à 5h du matin. Vous proposez de passer tout en led, ce qui est déjà dans les actions menées par des municipalités, mais rien sur la coupure la nuit.

TG : non effectivement je n’y ai pas pensé, je le reconnais bien humblement. Je fais une parenthèse par contre, je suis très très favorable à l’extinction des feux passée une certaine heure le soir pour au moins deux raisons. D’abord moins il y a de publicité dans l’espace public plus je suis content par ce que pour moi c’est de la pollution visuelle et donc toutes les devantures qui sont éclairées pendant toute la nuit je trouve que c’est une pollution visuelle et puis il y a une raison qui est plus poétique c’est que je suis passionné d’astronomie et d’exploration spatiale et quand on voit le ciel étoilé, par temps clair sans éclairage urbain c’est d’une beauté bouleversante.

CC : dernière question pour conclure notre entretien. Il y a un mouvement politique qui se présente comme le parti écologiste, c’est EELV…

TG : alors je commence par vous dire la dessus en toute honnêteté, en toute rigueur d’analyse, là c’est le politologue qui parle, à l’heure où on parle, il y a une vision de l’écologie dans toutes les grandes forces politiques du paysage politique français. Simplement ces visions ne sont pas les mêmes parce qu’ils n’ont pas les mêmes croyances politiques de départ. Par exemple, l’écologie d’extrême gauche vous dit que pour arrêter la catastrophe écologique il faut renverser le capitalisme. L’écologie libérale dit que pour arrêter la catastrophe écologique il faut faire confiance au marché qui va s’autoréguler. L’écologie d’extrême droite vous dit que les sujets écologiques prioritaires c’est la relocalisation c’est à dire le protectionnisme et l’abattage rituel des animaux, c’est à dire, les musulmans. Et donc chacun voit midi à sa porte au sujet de l’écologie. Donc l’écologie elle est partout dans le paysage politique mais simplement avec des grilles de lectures, des lunettes de vue qui ne sont pas réglées pareil.

Maintenant à propos d’EELV, ils ont au moins deux problèmes. Le premier c’est qu’il y a une culture du sectarisme, c’est à dire que soit vous êtes d’accord avec eux sur tout , soit vous n’êtes pas assez pur et donc vous faites partie du problème. Et ça c’est bloquant pour le développement d’une force écologique de masse. Parce que par définition vous vous condamnez à rester petit si vous raisonnez comme ça . Ça c’est le premier point qui pose problème chez EELV. Deuxièmement, ils ont gardés de leur passé groupusculaire une tendance à vouloir être avant-gardistes,  à être en pointe sur des combats minoritaires dans l’opinion en essayant de les rendre progressivement mainstream ; Sandrine Rousseau est un très bon exemple. C’est une démarche qui est tout a fait légitime quand on cherche à faire avancer le combat culturel et la bataille des idées. En revanche quand on cherche à être un parti de gouvernement c’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire. Donc EELV  est en pointe sur un certain nombre de sujets très très avant-gardistes mais qui en clair effraye le bourgeois.

CC : et on les entends parler de tous les sujets sauf d’écologie en général.

TG : Alors je n’irai pas jusque là car en fait de manière générale quand on est sur des sujets très clivants très avants-gardistes, les reprises médiatiques sont meilleures et donc ça fait du buzz, du clic, des réactions indignées, etc. Les cadres EELV qui parlent que d’écologie et de façon raisonnable et sérieuse, ont tendance à faire moins de médias, parce qu’ils font moins de buzz, parce qu’ils sont plus raisonnables ; malheureusement c’est l’époque dans laquelle nous vivons. Et il y a un autre élément qui à mon avis est bloquant, c’est que pour que les propositions écologistes progressent, il faudrait arriver à démontrer systématiquement, que vous y gagnez vous électeurs à titre individuel en terme de gain égoïste et ce travail généralement n’est pas fait. On reste dans un discours d’écologie héroïque et sacrificielle alors qu’il est plus efficace électoralement de toujours expliquer en quoi plus d’écologie donne plus d’emplois, plus d’écologie donne plus de pouvoir d’achat, plus d’écologie donne une meilleure santé, etc.

CC : alors pourquoi on ne les entends pas dire ça en boucle, je suis bien conscient de l’aspect buzz, mais avec la répétition, le message passe en général non  ?

TG : c’est une culture de l’écologie sacrificielle, de l’écologie d’expiation et moi je ne suis pas d’accord avec ça, je suis pour une écologie des solutions, une écologie positive, une écologie joyeuse en réalité, une écologie de la joie, je le dis comme ça, comme je le pense.

CC : c’est cette idée qui ressort de votre livre, le réveil écologique c’est maintenant, et vous annoncez la couleur, le catastrophisme c’est très bien mais avec cet esprit pessimiste, on ne va pas bien loin.

TG : Ah moi je n’en peux plus du catastrophisme ! Maintenant quand quelqu’un est sur un plateau télé en expliquant que la situation est grave et que nous allons tous mourir, je zappe, je suis déjà au courant.

CC : que dites vous à vos étudiants, aux jeunes que vous rencontrez. Vous leur dites « engagez vous » comme vous l’ écrivez dans « la fin des haricots  » ?

TG : clairement les jeunes ne sont pas ma principale inquiétude en terme d’engagement à la hauteur des problèmes, parce que en réalité ils sont très en avance sur le reste de la population. Mon inquiétude vis a vis de la jeunesse c’est la force immense de l’éco-anxiété, la solastalgie, dans cette population et donc je ressent de la compassion vis a vis de leur très fort désespoir écologique ; c’est aussi pour ça que mon livre s’adresse à eux et à elles parce que je veux leur proposer une écologie de combat. Parce que la meilleure réponse à l’obstacle, à la difficulté, c’est le combat. Sinon on se retrouve à s’asseoir sur le côté de la route et on déprime .

 

Ajouter un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *